Article dans le journal du CNRS : Des fleurs connectées pour étudier les abeilles !

https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-fleurs-connectees-pour-etudier-les-abeilles

Des fleurs connectées pour étudier les abeilles
23.05.2018, par Anne-Sophie Boutaud

Prototype de fleur artificielle connectée, sur laquelle butinent deux bourdons terrestres (bombus terrestris, variété d’abeille sauvage). Les insectes sont équipés d’une étiquette en papier avec un QR code.
©Mathieu LIHOREAU

On connaît mal la façon dont les abeilles sélectionnent les fleurs et se déplacent entre elles. Un outil original vient d’être mis au point par un chercheur, Mathieu Lihoreau, avec des lycéens de Normandie : une « fleur connectée » permettant de décrypter le comportement de ces insectes pollinisateurs. Le scientifique nous explique ce dispositif ingénieux et sa démarche participative.
Vous menez actuellement une expérimentation, « Abeilles-biodiversité », avec des élèves du lycée Julliot-de-la-Morandière à Granville, en Normandie, soutenue par la Fondation Dassault Systèmes1. L’objectif est d’étudier le comportement des abeilles en collectant des données de manière automatisée dans leur milieu naturel. Comment est né ce projet ?
Mathieu Lihoreau2 : Quand les enseignants du lycée de Granville m’ont contacté, il y a deux ans, pour intervenir sur un projet de construction de ruches connectées par des élèves de filière technique, je leur ai donné quelques conseils à distance. Et puis je suis venu sur place présenter mes travaux sur le comportement des abeilles et, notamment, mon projet de « fleur connectée »… J’ai donné aux étudiants un cahier des charges, c’est-à-dire une description du produit final et de son application. Les élèves et leurs enseignants ont cherché des solutions techniques pour réaliser le prototype. Ils ont conçu les différents modules, les ont assemblés, et ont pu tester la fleur avec de véritables abeilles. Si aujourd’hui nous avons validé un prototype ensemble, il reste maintenant à l’améliorer, c’est-à-dire à le rendre « réplicable » à bas coût, pour une production en série et une utilisation en laboratoire.

Le dispositif conçu par le CRCA avec les élèves du lycée de Granville est pourvu de pompes délivrant du nectar et du pollen, et surmonté d’une caméra.
©Cyril André

En quoi consistent ces fleurs connectées ?
M. L. : Il s’agit avant tout d’un outil pour la recherche. Malgré plusieurs millénaires de domestication et plus d’un siècle de recherches modernes sur le comportement et la cognition de ces insectes, on connaît très mal la façon dont les abeilles sélectionnent les fleurs disponibles dans leur environnement et se déplacent entre elles ! Cette fleur « artificielle », placée au milieu de fleurs naturelles, permet d’attirer les abeilles sur une ressource de qualité définie, à un endroit précis et pour une durée voulue. Nous avons donc imaginé un système ressemblant – vaguement – à une fleur, qui délivre des quantités contrôlées de nectar et de pollen artificiels, enregistre les visites des abeilles qui viennent butiner sur la fleur, et les identifient individuellement. À terme, ces fleurs pourront communiquer entre elles pour créer de véritables « champs connectés ».

Gros plan sur une fleur artificielle non connectée, en plein champ. Le bourdon terrestre, une abeille sauvage moins agressive que l’abeille domestique, constitue un modèle d’étude pour les chercheurs.
©Tamara Gomez/CRCA

Butiner est une tâche complexe. Vous évoquez un manque de connaissances fondamentales sur ce comportement…
M. L. : Cela est dû à la difficulté de suivre un grand nombre d’individus, parfois plusieurs centaines d’abeilles dans une seule colonie, sur de grandes distances et sur de longues durées. À titre d’exemple, une abeille domestique peut butiner pendant environ deux semaines et, chaque jour, faire une trentaine de voyages. À chacun de ces voyages, elle peut visiter plusieurs dizaines, voire centaines, de fleurs distribuées sur plusieurs kilomètres. Pour comprendre ces comportements, nous avons donc besoin de mieux contrôler l’environnement et d’automatiser les mesures. Avec les fleurs connectées, nous allons étudier comment les abeilles exploitent des ressources en fonction de leur distribution spatiale mais également de la qualité nutritionnelle de leurs nectars et pollens. Mieux comprendre ces comportements de bases nous permettra également de mieux comprendre les dynamiques de pollinisation, essentielle à la reproduction des plantes et au maintien des écosystèmes.

Alors que les populations d’abeilles sont en déclin en France, ce projet peut-il également amener à sensibiliser les plus – et moins – jeunes aux problématiques environnementales ?
M. L. : Les démarches de science participative sont en plein développement. Pour nous, ces projets sont intéressants à plusieurs titres. D’une part, ils permettent de mobiliser une force de travail conséquente constituée de personnes qui ont souvent un regard éclairant, extérieur au monde académique. D’autre part, ils permettent de sensibiliser un large public sur nos thématiques de recherches, parfois sociales, comme ici le problème du déclin des insectes pollinisateurs. Pour cette expérience de fleur connectée, les élèves se sont impliqués au-delà des attentes de leurs enseignants : ils ont même présenté leur projet aux Olympiades des métiers de Caen en avril dernier. Plusieurs d’entre eux ont découvert le monde des abeilles et la problématique liée à leur déclin, des thématiques pas forcément abordées dans les filières techniques… De plus en plus, nous avons recours à cette démarche participative. Avec mes collègues, nous avons lancé d’autres projets de plus grande envergure comme EuroFrelon 2017 (link is external), qui sollicite l’aide des amateurs pour piéger des frelons asiatiques dans leurs jardins ou ruchers à travers toute l’Europe. Ceci afin de mieux comprendre l’invasion très rapide de ce prédateur dont l’introduction remonte à 2004, dans le sud de la France. Je suis convaincu que les sciences participatives peuvent largement contribuer à servir la recherche…

Notes
1.https://lafondation.3ds.com/fr/ (link is external)
2. Mathieu Lihoreau est éthologue au Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université de Toulouse Paul-Sabatier).

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